Paroles d’amis

 
Hervé Spycher

La sculpture préméditée

 

La sculpture cherche à donner corps à de nombreux paradoxes : silencieuse, elle écarquille les visages pour signifier l’éloquence, le chant, le cri ; immobile, elle défie sa chute et son démantèlement en représentant le mouvement ; présente à tous nos sens, elle ouvre l’imagination à l’absence. Plus que d’autres objets, l’oeuvre sculpturale s’affirme dans l’espace et refuse d’être méconnue ; elle existe en tant que forme et matière, comme son créateur, comme son spectateur, mais elle est surtout la concrétisation d’une idée qui veut à tout prix s’imposer.

L’artiste peut certes choisir de jouer avec ces limites de la sculpture, de la dématérialiser, de dissimuler la proie pour montrer l’ombre ou de troquer les formes pour des abstractions. Mais à qui s’adresse ces subtilités ? Qui regarde en nous et qui apprécie ? S’il faut parfois se doter de décodeurs culturels sophistiqués pour “comprendre” une oeuvre, il n’en faut aucun pour apprécier et pour ressentir ce qu’une oeuvre suscite en nous. Le travail d’Hervé Spycher s’adresse avant tout à ces émotions spontanées. Artiste autodidacte, il propose une discussion sans intermédiaire académique entre l’oeuvre et le regard.

Ses sculptures sont soigneusement préméditées. Un thème survient et exige d’exister, par tous les moyens, par toutes les techniques. Or, ce besoin de création oriente dès lors les choix de vie de Hervé Spycher qui se forme aux techniques de travail des matières qui constitueront ses oeuvres. Ébéniste, soudeur, tailleur sur pierre, ses oeuvres reflètent sa curiosité et son approche pratique du métier d’artiste. Sa série de bronzes qui explore les figures classiques de la mythologie occidentale témoigne d’une maturation de son art néanmoins fidèle à son style personnel ; le “Self Made Sculpture” ou SMS. ​Self-made Man ​et Short Message Service conjuguent leurs substances dans ce bricolage linguistique. Si l’artiste s’est fait lui-même, son rôle est celui d’un passeur d’idées, d’un téléphore d’inspirations. Les créations de Hervé Spycher ont ainsi la taille et l’astuce de petits compagnons de jeu, réminiscences de sa culture marquée par la télévision des années 1980 et, comme les SMS, elles sont des messages digitaux, de ceux que l’on pianote avec les doigts et qui semblent inviter les nôtres à la découverte.

Oeuvres à Palabres

On ne peut parler justement de la sculpture en singularisant à la matière ; c’est un multiple naturel. Les matières donc servent de point de départ à la concrétisation des objets et les objets eux-mêmes se diffractent en histoires et en combinaisons surprenantes.

Les oeuvres composites qui forment la majorité des travaux de Hervé Spycher ressemblent à des recueils de fables et de contes retranscrits sur des manuscrits anciens et dont il appartient à chacun d’imaginer les parties manquantes. En elles-mêmes, les oeuvres se déclinent en une vaste galerie de personnages dont chaque élément et ses particularités,- couleurs, formes, emplacement, origines-, porte en soi une histoire. Toutes ces petites histoires, qu’elles soient révélées par l’artiste ou que le spectateur les invente en son for intérieur, forment une oeuvre à palabres : un objet d’art qui a le respect des vieilles choses, l’ingéniosité de la trouvaille et qui a planté ses racines sur l’infini territoire de la bricole. La série ​Argonautes est d’ailleurs peuplée de banlieusards des mythes, – la Calculatrice, le Ténor, le Passe-muraille-,tous montés sur des jambes en racines d’acacia. Ce bois imputrescible, souple et résistant sert ainsi d’assise aux créations de Hervé Spycher à la manière de réécritures mythologiques lesquelles s’appuient sur une structure ancienne pour créer de la nouveauté. Une part de mystère, d’indéci(s)dable résiste pourtant, encore et toujours, au regard invasif de l’artiste comme du spectateur ; la feuille de route d’une idée, le souvenir des choix laissés de côté, les émotions qui surviennent et surviendront, forment l’obscure partie de l’oeuvre, celle qui ne révèle son existence que pour aiguiser notre désir d’en connaître plus.

Déjouer la gravité

La recherche de l’équilibre est une de ces platitudes qui se décline à toutes les modes, du savoir-vivre à la spiritualité, et qui semble se complaire à oublier ses origines. En effet, l’équilibre est la négociation constante, pour l’obtention d’un permis de station, entre la planète et ses locataires. Aussi, trouver l’équilibre, pour l’artiste plasticien, c’est lutter contre la gravité terrestre ; voir s’effondrer son travail, recommencer, rogner, tourner, souder, courber, suspendre ses mains dans l’attente de la chute, et vaincre, car l’oeuvre se tient enfin d’elle-même, comme le démontre M.Newton.

Ce souci de l’équilibre anime toute la création de Hervé Spycher, de façon concrète puisqu’il se confronte à toutes sortes de matières et de formes qui doivent sous ses mains trouver un accord de coexistence mais de façon plus subtile quand il cherche simplement à déjouer la gravité qui peut accompagner la confrontation avec l’oeuvre d’art. Ses créations cachent ainsi des indices, jeux de mots qui font d’une créature fantastique digne d’une fresque baroque une “Deux-chevaux” ou d’un Pégase courtaud propulsé par une hélice caudale un “Pet-gaz”… Cet humour potache s’inscrit dans l’héritage revendiqué de Dada, courant assez vaste et généreux pour faire de chacun un convive à sa table, grave ou joyeux, toujours ludique.

Les Citoyens de la décharge

On voit mal la rivière dans laquelle on se baigne. Il reste possible d’en tirer des observations qui en diront tout autant sur le cours de l’eau que sur les baigneurs eux-mêmes. À cet égard, Maurice Fontaine a proposé le terme de “Molyscène”, l’Ère des Déchets pour qualifier notre époque, eut égard aux quantités phénoménales de détritus ultra-durables que notre société laissera en témoignage aux archéologues du futur. Artiste de son temps, Hervé Spycher engage une réflexion sur la revalorisation des objets et des fragments obsolètes abandonnés dans le sillage monstrueux du consumérisme contemporain. Il dépasse de façon originale le thème classique du ​memento mori en utilisant dans ses oeuvres des fragments d’animaux empaillés puis mis au rebut. Jeter une machine cassée et jeter un iguane momifié qui ornait une étagère ; s’agit-il du même geste? Cette démarche s’accorde avec une conception du métier d’artiste ; Hervé Spycher se voit ainsi comme un vecteur, un pêcheur d’idées de passage qu’il transforme et restitue au fil du monde sous la forme d’un nouvel objet, un bel objet, qui nous rappelle qu’il a vécu, qu’il peut d’exister autrement et à qui nous pouvons donner une seconde chance. Les citoyens de la décharge publique semblent ainsi converger dans son atelier pour fonder leur propre nation, où le sabot de l’un s’échange avec la corne de l’autre, sans préoccupation sérieuse du mien et du tien. À travers ces carcasses travaillées pour être conservées, Hervé Spycher soulève le problème de la contagion du jetable de l’objet vers le vivant et donc l’humain, de l’obsolescence des outils à celle des hommes. Fragmentées et dispersées dans les différentes pièces de sa série ​Chimère​, les pattes, têtes et carapaces n’insistent donc pas sur la sentence d’une mort certaine mais demandent ce qu’il restera de nous, ce qu’il reste à faire de nos restes.

 

Dr Marion APFFEL

Texte paru dans le livre de René Wetzig «Autoportraits et portraits d’artistes peintres alsaciens» 


 

Hervé SPYCHER

par G.Weiss (extrait de thèse de doctorat)

 

Ill. 181. Hervé SPYCHER, Baobab, 2010 Fer (tonneaux d’huile), 4 m. © Hervé Spycher

Le plasticien Hervé SPYCHER (1972-) vit et travaille à Mulhouse. Sa recherche artistique, notamment en sculpture, s’appuie sur le détournement et l’assemblage de matériaux et d’objets de récupération – naturels, biens de consommation, etc. -, dans la perspective d’un discours écologique, politique, voire subversif, et d’une critique de la société de consommation.

« Citoyen du monde », il multiplie les voyages – Maroc, Laos, Mayotte, Madagascar, etc. –, à la découverte de nouvelles sources d’inspiration dans la nature et les rencontres.
Son intérêt pour l’art traditionnel africain, les « arts premiers », se fonde sur les formes mais également sur le « côté magique » qu’une pièce est susceptible de dégager (Hervé Spycher, 10/10/2012, Mulhouse).

Notons que c’est par Pablo PICASSO qu’il a connu l’art africain, puis par les musées, les livres et Internet.

Sa sculpture, Baobab (2010) (Ill.181), a été créée au retour d’un séjour à Mayotte . Par la récupération de tonneaux d’huile, notamment de célèbres firmes présentes en Afrique, et leur détournement pour en réaliser un arbre, symbole de vie, l’artiste dénonce la pollution et l’exploitation du continent par les multinationales.

Cette œuvre, de par son contenu et sa technique – le détournement et la récupération des objets sont des comportements fortement ancrés dans la culture africaine, – pose la question de son appartenance identitaire, ni tout à fait française, occidentale, ni tout à fait africaine. Cette création qui matérialise la rencontre de deux cultures, témoigne de l’advenue d’autre chose, précisément d’une identité plurielle et complexe.

 

 

 

 


 

Hervé Spycher 

Un Sculpteur hors du commun

 

Au premier abord on aurait tendance à qualifier le travail d’HS de Récupart. Ce mouvement artistique aux contours un peu vagues, englobant une multitude d’artistes qui assemblent des objets ou des déchets trouvés au hasard d’opérations de récupération.

Ce qu’il a certainement hérité du mouvement qui a été marqué par Ambroise Monod, c’est son côté visionnaire, cet instinct de la transformation, de la transgression avec en plus une sublimation dans le détournement des objets dénichés, parfois dans les endroits les plus improbables.
Ce ne sont pas ces objets qui viennent à lui au hasard de ses trouvailles, mais bien lui qui construit minutieusement des projets très structurés, avec toujours, une grande profondeur dans les thèmes abordés .

HS est donc bien plus qu’un récupartiste, la variété de son travail en témoigne.
Chacune de ses œuvres raconte une histoire, chacune est une réflexion subtile, très souvent sur le thème du temps .
HS est un éclectique capable d’aborder tous les sujets . Il maîtrise avec aisance toutes les techniques et tous les matériaux.
Souvent, c’est une partie de sa vie, un souvenir de voyage qui apparaît et qui donne une dimension intime à sa sculpture. En prenant le temps de l’examiner on ressent une invitation à pénétrer cette intimité .C’est une partie de lui même qui se dévoile.
Grâce à son savoir-faire polyvalent, il a la capacité de transformer des objets inertes en véritables scènes, ce qui confère parfois à certaines d’entre elles un caractère théâtral.
On est subjugué par son pouvoir de construire des personnages avec des pièces parfois totalement hétéroclites . Il réussit à leur donner des postures, des attitudes, à travers lesquelles on devine des sentiments bien précis.
Dans l’éléphant, par exemple, une de ses pièces majeures, il exprime la puissance de l’animal,mais aussi sa grâce et sa fragilité.On a presque l’impression qu’il va se mettre en mouvement.

HS n’est pas seulement un assembleur, un plasticien, un sculpteur … c’est aussi un philosophe.
C’est à travers son œuvre qu’on peut recevoir cette philosophie.
Il a l’envergure d’un Tingely ou d’un Arman.

Yves Bingert