Arts premiers


 » L’art africain / Art nègre, art tribal, art primitif, art premier : on a donné beaucoup de noms à l’art du continent africain sans jamais parvenir à le définir. Il a tant de visages qu’on ne parviendra pas à le réduire à un seul mot. Derrière la variété des formes qui ont fasciné les artistes européens au début du XXe siècle, se cache une dimension religieuse et culturelle à découvrir.
Si un homme du XIXe siècle avait regardé les objets exposés sur cette page, s’il s’était obstiné à regarder ces objets africains, il ne les aurait pas vus. Pas vus du tout. Ils n’auraient étés pour lui que des bouts de bois, des fragments d’écorce hideux, grotesques, des rondins ridicules, des bùches pour une bonne flambée (et Dieu seul sait combien les premiers missionnaires en ont brùlé, de ces objets !). Notre homme aurait été semblable aux explorateurs en Afrique, du premier roman de Jules Vernes, Cinq semaines en ballon (1862), qui trébuchent avec dégout, dans un village, sur « des poteaux de bois qui avaient la prétention d’être sculptés ».

Marionnette Bambaras Statuette Bambaras
Statuette Bambaras (Mali)
Statuette Bambaras

Au mieux, s’il avait éprouvé un vague intérêt, il aurait pris ces objets pour des curiosités, des trophées coloniaux « pittoresques », mais indignes d’être montrés dans un livre d’art. Trop bizarres. Trop éloignés des canons esthétiques occidentaux. Etrangers à ce que l’on entendait alors par création, de Phidias à Monet. Tout juste bons à figurer dans ce que l’on appelait alors précisément les cabinets de curiosités, ou (comme aujourd’hui encore, au Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, qui possède pourtant des oeuvres exceptionnelles du Tchad) à cotoyer les anomalies offertes par la nature, comme ces foetus à deux têtes baignant dans du formol.

Statuette Dogon (Mali)
Couple ficelý Fon (culte vaudou, Nigéria)

Puis on a considér, avec condescendance, que ces oeuvres pouvaient, à la rigueur, être rattachées au train de l’histoire de l’art, mais uniquement dans une remorque qualifiée d’ýxotique, celle que l’on observe avec amusement, surprise, scepticisme. Une remorque ensuite nommée « art tribal » ou « primitif ».
Mais ce n’est pas pour cette raison que Picasso, l’un des premiers collectionneurs d’oeuvres africaines, lança sa célèbre formule : « L’art nègre, connais pas ! ». Néanmoins, ce sont bien des artistes européens, Matisse, Vlaminck, qui au début du XXe siècle reçurent ces pièces comme une commation esthétique. « Un choc, une révélation », dira Picasso, « j’ai alors compris que c’était le sens même de la peinture ». Du même coup, par un effet libérateur, l’art africain a infléchi la direction de l’histoire de l’art européen, en radicalisant des mutations il est vrai déjà amorcées, en aidant à échapper é l’illusion figurative.

Tambour usuel de la Cýte d’Ivoire
Porte de grenier Dogon (Mali)

Cependant, pour considérer l’art africain comme art majeur, pourquoi lui faudrait-il la bénédiction d’artistes européens ? Ne sont-ils pas, ces sculpteurs du Mali, du Gabon, des artistes à part entière, sans nul besoin de recevoir l’onction de Modigliani ? Leur art s’est développé, lui, sans influence extèrieure, mais ces créateurs inspirés sont restés anonymes car aucun des amateurs européens ne croyait bon, jadis, de noter leur nom; eux-mêmes n’attachaient pas grand prix à le pérenniser.

Masque de crocodile à lame faciale (ethnie Numa, Burkina Faso)

Mais reconnaissons-le : c’est une chance de voir l’art africain, ici sur ce site ou dans une exposition. S’il est encore bien vivant dans la plupart des pays, s’il est loin d’être, comme on le croit parfois, en voie de disparition, toutefois, sur place, dans les villages, il demeure, comme ce fut d’ailleurs toujours le cas, un art invisible. Si l’on excepte naturellement l’architecture et ses décorations, aucun visiteur, déambulant dans les rues, ne verra une seule œuvres montrées ici. Certaines, relevant de cultes privés, sans être secrètes, sont gardées au fond des maisons, dans la chambre du propriétaire, pour son usage personnel. D’autres n’interviennent que périodiquement, lors de cérémonies qui ont lieu quelquefois dans l’année : encore faut-il être présent au moment précis !

Masque Yaouré (Côte d’Ivoire)

Plus encore, certaines effigies sacrées sont strictement interdites aux femmes africaines elles-mêmes qui, bien qu’habitant dans le village, ne les ont jamais vues. Appartenant à des confréries d’hommes, ces « objets » n’apparaissent que la nuit, lorsque toute la famille se terre dans la maison ou bien s’est déplacée dans un bourg voisin. Justement : sur place, ces œuvres ne sont guère séparables de leur puissance magique. Aussi, est-il inutile de connaître leur rôle ?
Beaucoup, en Europe, assurent que s’intéresser à leur fonction est superflu, seule compterait l’admiration. Affirmation judicieuse : on peut être « saisi » par une statue à clous des kongos sans rien savoir de son usage. Pourtant, dans la peinture européenne, qui songerait à voir dans le dernier repas du Christ une collation entre amis ? une homme cloué sur des planches n’est-il pas identifié « Christ en croix » et non pas « brigand supplicié »? Un tableau de famille avec âne n’est-il pas légendé « Fuite en Égypte »? En Afrique aussi, les œuvres trouvent un sens par le rôle qu’elles jouent et elles ne sont pas impures parce qu’utilitaires – quoique la notion de fonctionnait ses limites, puisqu’on ne s’assied jamais sur les sièges les plus sacrés, les boucliers décorés ne sont que d’apparat, et certains sifflets sont des talismans.  »
Extraits de / Les Arts d’Afrique:  » Guide des arts  » par Alain-Michel Boyer. Editions Hazan

Sources
artspremiers.net

Liens
musée du quai Branly (Paris)

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